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Marchés émergents : risque, rendement et Covid

By Jonathan Wheatley | mai 14, 2021

Le moment est-il opportun pour les investisseurs particuliers d’acheter des actions et des obligations des marchés émergents?

Au plus fort d’une pandémie, alors que la croissance fait du sur place dans les pays en développement et que les gouvernements peinent à reproduire le succès des déploiements de vaccins dans les économies avancées, poser une telle question peut sembler étranger. Pourtant, il semble que de nombreux investisseurs ne font pas que la poser, mais y répondent « oui ».

Le nombre et la valeur des fonds négociés en bourse (FNB) axés sur les marchés émergents et des produits similaires (des fonds négociables qui attirent généralement les investisseurs particuliers) ont augmenté de manière remarquable pendant la crise du coronavirus.

Il y avait 1 670 produits de ce type dans le monde à la fin du mois de mars, selon l’observateur de l’industrie ETFGI, en hausse par rapport à 1 447 au début de l’année dernière. De même, leur capitalisation boursière a augmenté de plus d’un quart pour atteindre 742 milliards de dollars américains (528 milliards de livres sterling) sur la même période.

De plus, les investisseurs particuliers semblent être sensibles aux forces et aux faiblesses des marchés émergents (ME), ces derniers étant moins attirés par le Brésil, rongé par les problèmes, que par les énormes énergies de la Chine.

Interactive Investor, le deuxième plus important supermarché de fonds, affirme que les fiducies de placement et les fonds communs de placement axés sur la Chine figurent parmi ses plus gros vendeurs jusqu’à présent cette année. Ils représentent deux produits sur quatre au sein des marchés émergents dans les 40 plus grandes fiducies d’investissement et un produit sur trois dans les 40 plus grands fonds communs de placement, alors qu’il n’y en avait aucun au cours de la même période en 2020. 

Deborah Fuhr, fondatrice américaine d’ETFGI, affirme que de nombreux investisseurs particuliers, avec le temps libre généré par la pandémie, se sont intéressés aux thèmes d’investissement mondiaux, comme les actions technologiques chinoises, notamment lorsqu’ils sont mentionnés à la télévision. « Beaucoup d’hommes qui n’avaient peut-être pas beaucoup de passe-temps à la maison », explique-t-elle « étaient enfermés chez eux et beaucoup d’entre eux ont décidé de mettre de côté de l’argent pour jouer. »

Les investisseurs particuliers profitent de la vague créée par l’engouement institutionnel généralisé pour les ME. Les données de Morningstar, un observateur de l’industrie, montrent que les investisseurs ont injecté plus de 100 milliards de dollars dans les actions et les obligations des marchés émergents au cours des neuf mois clos en mars, ce qui a plus que compensé les quelque 44 milliards de dollars qu’ils avaient retirés au premier semestre de l’année dernière, au début de la pandémie.

« Ce que nous pouvons dire avec un degré élevé de confiance, c’est que les investisseurs dans l’ensemble ont commencé se tourner davantage vers les marchés émergents », déclare Ben Johnson, directeur de la recherche mondiale sur les FNB chez Morningstar. Les allocations vers cette catégorie d’actifs au cours des 12 derniers mois représentent « probablement le signe d’intérêt le plus important que nous ayons connu depuis dix ans environ ».

Mais tout cela se déroule dans un contexte difficile pour les économies émergentes. D’une part, leur part de la production mondiale s’est multipliée au cours de ce siècle, doublant sur le plan monétaire. D’autre part, elle ne représente encore que 40 % du total, même si ces régions renferment plus de 80 % de la population mondiale. Et la pandémie a eu des répercussions inégales, causant des ravages au Brésil, par exemple, mais épargnant largement la Chine.

En outre, la croissance du produit intérieur brut ne se traduit pas facilement en rendements boursiers. Les marchés étant souvent faussés par l’intervention du gouvernement et l’opacité des règles, les gens d’affaires locaux bien connectés ont tendance à mieux réussir que les investisseurs financiers ordinaires. Les marchés émergents fournissent environ les trois quarts de la croissance économique mondiale, mais leurs actions sont à la traîne de l’indice S&P 500, qui représente les actions américaines, depuis une grande partie des dix dernières années.

Les investisseurs particuliers des pays développés ont à peine effleuré la surface des marchés émergents. Les fiducies de placement, les fonds communs de placement et les FNB, à savoir le type de véhicules privilégiés par les petits investisseurs, ne représentent qu’une petite part de l’investissement total dans les actions et les obligations des marchés émergents, et cette part a à peine bougé depuis dix ans. Il y a donc beaucoup de possibilités pour augmenter l’exposition aux EM sans pour autant bouleverser l’équilibre du portefeuille moyen.

Alors que de nombreux analystes pensent que la surperformance des actions américaines ces dernières années semble nettement mousseuse, les opinions pourraient-elles encore changer? Serait-il le moment de se tourner à nouveau vers les marchés émergents en général?

FT Money se penche sur les avantages et les inconvénients.

Une nouvelle histoire aux racines anciennes

Il existe de longs antécédents d’investisseurs à la recherche de profits dans les économies non développées, que ce soit dans les chemins de fer d’Amérique latine, l’or sud-africain ou le caoutchouc indonésien.

L’histoire moderne des marchés émergents commence dans les années 80, lorsque les gestionnaires de fonds au Royaume-Uni et dans d’autres pays riches ont cherché à tirer parti des rendements élevés offerts par les pays à croissance rapide d’Amérique latine, d’Asie du Sud-Est et d’autres régions du monde en développement.

Depuis lors, les pays classés comme marchés émergents ont changé jusqu’à devenir méconnaissables. L’indice MSCI EM qui compte aujourd’hui des actions provenant de 27 pays, l’indice de référence le plus largement suivi, comprend certains pays, comme la Corée du Sud, Taiwan et la République tchèque, qui ont fait de tels progrès que peu de gens en dehors de la communauté des investissements indiciels les considéraient comme moins développés que les économies industrialisées.

Mais bien que le paysage ait changé, la proposition reste la même : les marchés émergents, au fur et à mesure qu’ils rattrapent les pays du monde développé, vont croître plus rapidement, offrant des taux de rendement plus élevés sur les investissements. L’inconvénient est que cette croissance et ces rendements peuvent être très irréguliers.

Les bénéfices ont souvent été exceptionnels pendant le supercycle des matières premières des années 90 et 2000, lorsque la demande chinoise a dynamisé la croissance des pays exportateurs de matières premières, comme le Brésil. Depuis lors, certaines économies à croissance rapide, notamment le Brésil, ont subi une stagnation et une récession, ce qui a poussé certains investisseurs à se demander si les marchés émergents en valaient toujours la peine.

Pourtant, certains États, en particulier les pays du Sud-est asiatique, ont appris à éviter les erreurs passées. Ils ont généralement maîtrisé l’inflation, bien géré les déficits intérieurs et extérieurs et mieux géré la volatilité en réduisant leur dépendance à la dette extérieure et en créant des réserves de liquidités en monnaies étrangères.

La montée de la Chine

La plus grande transformation a été l’émergence apparemment inexorable de la Chine. Sa demande en matières premières de toutes les variétés, agricoles comme minérales, était telle que de nombreuses économies émergentes ont traversé la crise financière mondiale de 2008/2009 sans trop de tracas. Depuis lors, sa croissance demeure le moteur le plus puissant du monde en développement.

Néanmoins, les économies émergentes ne sont pas à l’abri des chocs. Le « taper tantrum » de 2013 a rappelé aux investisseurs que les ME sont à la merci de forces plus importantes. La Réserve fédérale américaine a provoqué des remous lorsqu’elle a suggéré qu’elle pourrait bientôt commencer à réduire son important programme d’achat d’obligations qui soutenait l’économie, signalant la fin possible des rendements ingrats. Les investisseurs étrangers ont quitté en masse les ME, indépendamment de la réussite ou de l’échec des réformes économiques des dirigeants.

Depuis lors, les hauts et les bas des actifs des marchés émergents sont souvent attribuables aux variations du dollar américain. Lorsque le dollar est faible et que la croissance américaine est lente, les investisseurs sont prêts à prendre plus de risques. Les marchés émergents offrent alors des rendements intéressants.

Mais lorsque le dollar américain se raffermit, comme il l’a subitement fait en 2018, prenant de nombreux investisseurs dans les ME de court, l’argent peut rapidement fuir les ME. Dans de telles circonstances, même les actifs chinois peuvent en pâtir.

Ces forces sont à l’œuvre aujourd’hui. Alors que l’économie américaine se rétablit plus rapidement que prévu de la pandémie, la question à l’esprit des investisseurs professionnels est de savoir si, ou plutôt quand, l’inflation et les taux d’intérêt américains augmenteront, stimulés par l’énorme relance budgétaire de l’administration du président Biden. Si les rendements américains redeviennent soudainement attrayants, les marchés émergents pourraient une fois de plus voir l’argent fuir vers l’Amérique.

« Les dépenses budgétaires américaines dominent complètement le débat », a déclaré Bhanu Baweja, stratège en chef de la banque d’investissement UBS et spécialiste des marchés émergents.

Même si les dangers habituels persistent, les incitatifs à investir dans les marchés émergents persistent également. Comme l’a souligné Jan Dehn, un spécialiste de longue date en investissement sur les marchés émergents et gestionnaire de fonds chez Ashmore, en 2019, les économies émergentes représentaient à ce moment-là 74 % de la croissance économique mondiale et devaient contribuer à hauteur de 84 % d’ici 2023. La pandémie a peut-être ralenti le rythme de cette croissance, mais peu doutent qu’à long terme, les ME soient les moteurs de la croissance.

Pourtant, il est difficile de profiter de cette croissance, car les risques sont inégalement répartis. La contagion entre les marchés est bien moindre qu’elle ne l’était. Quand une crise éclate sur un marché plus volatil, comme l’Argentine ou la Turquie, elle ne renverse plus le reste de la catégorie d’actifs. Chaque marché émergent présente son propre lot de défis et d’occasions, et les corrélations entre les marchés s’affaiblissent.

Qu’en est-il des BRICS?

Parmi les BRICS nommés comme étant les futures vedettes par l’économiste Jim O’Neill de Goldman Sachs en 2001, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et, par la suite, l’Afrique du Sud, trois ont perdu leur éclat.

L’Inde et la Chine ont toutefois continué de générer des résultats. Les énormes mesures de relance de Beijing durant la crise financière mondiale ont sauvé non seulement sa propre économie, mais aussi celles de nombreux autres pays en développement, voire l’ensemble du monde industrialisé.

L’attention de Beijing a changé au cours des dernières années, passant de l’investissement à la consommation en tant que moteur de son économie, avec un souci de stabilité financière qui atténue son enthousiasme pour une croissance alimentée par le crédit. Les investisseurs en actifs des marchés émergents devraient suivre de près cette politique.

L’Inde a également connu une forte croissance au cours des dix dernières années. Cette année, elle a été en mesure d’annoncer une forte augmentation des dépenses publiques pour contrer la pandémie sans effrayer les investisseurs; cela atteste de la foi de ces deniers en la croissance de l’Inde, bien que la terrible deuxième vague de Covid-19 qui a traversé le pays au cours du dernier mois ait soulevé des questions à ce sujet.

En revanche, le Brésil, la Russie et l’Afrique du Sud ont tous vu leur croissance ralentir, stagner, voire s’inverser au cours des dix dernières années.

Nicolaj Sebrell, analyste boursier principal chez Rowan Darlington, qui fait partie de l’activité de gestion de patrimoine St James’s Place, affirme que les gains d’une stratégie adaptée au pays sont potentiellement importants.

Il soutient que les investisseurs peuvent surperformer en évitant les causes perdues comme le Venezuela et l’Argentine et en s’en tenant aux États avec des politiques crédibles, des perspectives de croissance raisonnables et des marchés à prix abordable. Il dit : « Les marchés émergents sont une catégorie d’actifs parce que nous l’avons définie de cette manière. Mais ce n’est qu’une sélection de pays. Si l’on peut tous les traiter comme des marchés individuels, cela a de réels avantages. »

Sony Kapoor, directeur général du Nordic Institute for Finance, Technology and Sustainability, affirme que cette approche n’est pas à la portée de tous. Seuls ceux qui ne sont pas contraints par la liquidité et le temps (les fonds souverains et ceux qui sont très riches), selon lui, peuvent bénéficier de connaissances propres à chaque pays et traverser les cycles de hauts et de bas de la politique monétaire américaine. « Pour le commun des mortels, malheureusement, l’option par défaut est de coller aux indices. »

Néanmoins, les perspectives restent incertaines, la pandémie augmentant les écarts entre les États. Il est difficile de voir comment les économies qui peinaient avant la crise du coronavirus seront mieux positionnées par la suite. Mais les pays qui ont bien géré la pandémie, notamment en Asie de l’Est, pourraient être récompensés par de nouveaux investissements.

Les fonds offrent un bon moyen d’accéder aux marchés émergents

La plupart des investisseurs qui font leurs premiers pas dans les marchés émergents le feront par le biais de fonds gérés activement, tels que des fonds d’investissement et des fonds communs de placement, qui visent généralement à surclasser le marché, moyennant des frais.

Ou ils utiliseront des FNB (Fonds négociés en bourse) gérés passivement, qui visent à répliquer un indice de référence, ne facturent que peu de frais, voire aucuns, et qui peuvent être achetés et vendus comme des actions.

Dzmitry Lipski, responsable de la recherche sur les fonds chez Interactive Investor, affirme que si les marchés émergents bénéficieront de la reprise après la pandémie, et que les raisons sous-jacentes d’un investissement à long terme demeurent intactes : « pour la plupart des marchés émergents, la vaccination contre la Covid-19 demeure un enjeu pour cette année et probablement pour l’année prochaine également ».

Il est difficile d’évaluer l’importance des investissements de particuliers au sein des marchés émergents. Les données de Morningstar suggèrent que, bien que les investissements totaux en actions et obligations des marchés émergents soient deux fois et demie aujourd’hui ce qu’ils étaient il y a dix ans, le montant représenté par les fonds d’investissement — populaires sur le marché de détail — reste faible.

Les fonds communs de placement, les fiducies à capital variable et les FNB représentaient moins de 2,5 % des actions des marchés émergents mondiaux à la fin du mois de mars, selon les données, le même pourcentage qu’il y a dix ans. Dans les fonds à revenu fixe, la part se chiffrait à légèrement moins que 1 %, également le même pourcentage qu’il y a dix ans.

Ben Johnson, directeur de la recherche mondiale sur les FNB chez Morningstar, affirme qu’il est difficile de dire à quel point quelle part provient des investisseurs particuliers et des institutions.

Il affirme que les investisseurs particuliers sont plus susceptibles d’être influencés par la préférence pour le pays d’origine que les investisseurs institutionnels. « Les investisseurs particuliers à l’échelle mondiale sous-pondèrent non seulement les marchés émergents, mais tous les marchés en dehors de leur pays d’origine. . . C’est un problème de comportement humain, et je ne m’attends pas à ce qu’il change, même à long terme. » 

Mais une préférence pour le pays d’origine n’exclut pas nécessairement une exposition aux marchés émergents. Unilever au Royaume-Uni et Yum Brands aux États-Unis sont de vieux favoris parmi les investisseurs à la recherche d’une saveur locale en ME, sans la complication d’investir à l’étranger. La mondialisation a multiplié ces occasions. Plus de 200 sociétés chinoises sont cotées sur les bourses américaines, dont des géants de l’Internet comme Alibaba, Baidu et Tencent.

Deborah Fuhr, du service de données de FNB d’ETFGI, affirme que l’une des tendances à l’origine d’un plus grand nombre d’investissements de particuliers dans les marchés émergents est la montée des soi-disant conseillers-robots.

À Wealthfront, par exemple, un portefeuille avec une pondération élevée du risque de 8 sur 10 inclurait une allocation de 16 % aux marchés émergents, plus agressive que l’allocation médiane de 6 à 7 % parmi les fonds d’actions mondiales.

M. Lipski suggère quatre fonds à envisager pour les investisseurs particuliers, en commençant par JPMorgan Emerging Markets Trust, qui est géré de manière prudente et qui favorise la consommation intérieure.

Il y a également le Stewart Investors Global Emerging Markets Sustainability Fund, qui tient compte des questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) depuis bien avant que l’ESG ne devienne un mot à la mode.

M. Lipski aime également M&G Emerging Markets Bond Fund, pour un mélange d’obligations d’État et de sociétés en monnaie locale et en monnaie forte, et Utilico Emerging Markets Trust, axée sur les occasions en infrastructure.

Michael Arno, gestionnaire de portefeuille de la société d’investissement Brandywine, affirme que malgré l’évolution des marchés émergents, les anciennes règles s’appliquent toujours.

« Il s’agit de diversifier le portefeuille et de s’assurer que vous ne prenez pas un risque démesuré, ou que vous ne pouvez gérer », dit-il. « Mais les marchés émergents sont la partie croissante de l’économie mondiale et il y a certainement des périodes où il faut y investir. »

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