L’assouplissement de la politique monétaire représente le plus grand risque actuel pour les marchés
By John Plender | avril 15, 2021Il n’y a aucun doute là-dessus, soutient Jeremy Grantham : « le marché haussier en cours depuis 2009 est finalement arrivé à maturité pour se transformer en une véritable bulle aux proportions historiques ».
Le cofondateur de GMO, un gestionnaire de fonds établi à Boston, a déclaré : « considérant la survalorisation extrême, les hausses de prix explosives, les émissions frénétiques et le comportement spéculatif hystérique des investisseurs, je crois que cet événement sera enregistré comme l’une des grandes bulles de l’histoire financière, tout comme la bulle des mers du Sud et les krachs boursiers de 1929 et de 2000. »
Venant d’un homme devenu célèbre pour avoir prédit l’explosion des bulles en 2000 et en 2008, ce signal d’alarme au sujet du risque d’investissement, publié en janvier, mérite une attention particulière.
Cependant, plusieurs ne sont pas encore convaincus. Dans un récent document stratégique, les économistes de Goldman Sachs affirment que, bien qu’il y ait des îlots d’évaluations excessives dans les actions, « l’absence de levier important (mis à part le secteur gouvernemental) et le début du cycle laissent penser que les risques d’une bulle d’investissement comportant des risques systémiques pour le système financier et les économies sont relativement faibles. »
Sommets vertigineux
Ce qui ne fait aucun doute, c’est qu’il y a beaucoup de volatilités sur les marchés aujourd’hui.
Les investisseurs inexpérimentés se jettent sur les actions populaires. Les cours des actions d’entreprises non rentables ont augmenté. Les sociétés d’acquisition à vocation spécifique (SAVS), qui contournent les mesures de protection d’un premier appel public à l’épargne conventionnel et qui remplissent les poches des banquiers d’affaires, ont amassé plus de 70 milliards de dollars en nouveaux investissements aux États-Unis en 2020. Ce montant record en nouvelle émission semble être en bonne voie d’être dépassé au cours des trois premiers mois de 2021.
Des entreprises telles qu’Uber et Deliveroo, dont l’avantage concurrentiel découle davantage de l’arbitrage réglementaire dans le marché du travail plutôt que d’une technologie miraculeuse, montrent néanmoins des évaluations miraculeuses, même après l’échec de l’émission d’actions de Deliveroo.
Lorsqu’on se penche sur la vue d’ensemble, on constate que la capitalisation boursière mondiale a atteint un niveau record par rapport au produit intérieur brut mondial.
En ce qui concerne le risque systémique, il y a des signes rassurants. Contrairement à la période menant à la crise de 2007-2008, les marchés immobiliers, à l’exception du marché immobilier chinois, ne sont pas trop surévalués. De plus, les banques ne sont pas aussi surendettées, car elles ont été forcées à rebâtir leur capital depuis la crise, bien que l’effondrement de la Greensill, une banque du secteur bancaire parallèle, révèle une augmentation des risques en dehors du système bancaire conventionnel.
De plus, contrairement au sommet de la bulle Internet, les grands groupes technologiques qui mènent le marché haussier comptent sur d’importantes liquidités et génèrent de solides bénéfices.
Par ailleurs, les efforts des banques centrales et des gouvernements pour combattre les ravages du coronavirus ont permis de prévenir les faillites d’entreprise partout dans le monde. Ces efforts, combinés à l’accélération de la campagne de vaccination, contribuent à la reprise mondiale; le FMI prévoit d’ailleurs une croissance globale de 6 % cette année. Pendant ce temps, Jay Powell, président de la Réserve fédérale, est un fervent partisan des politiques monétaires expansionnistes, ce qui indique aux marchés que tout changement vers une politique plus stricte n’est pas pour tout de suite.
Piégé par les dettes
Mais il y a un hic. Le plus grand risque pour tous les marchés d’aujourd’hui réside dans l’assouplissement de la politique monétaire qui produit des taux directeurs très bas et qui a contribué à des rendements obligataires faibles, lesquels se maintiennent dans une zone sans précédent, et ce, même après la correction récente à la hausse.
Dans le Credit Suisse Global Investment Returns Yearbook, Elroy Dimson, Paul Marsh et Mike Staunton font remarquer qu’au cours des 40 dernières années, leur indice mondial d’obligations souveraines a produit un rendement réel annualisé de 6,2 %, soit un taux à peine inférieur aux 6,8 % générés par les actions mondiales.
Il serait ridicule selon eux d’extrapoler ces rendements à l’avenir, car il s’agissait d’un âge d’or pour les obligations. Le rendement réel annualisé moyen des obligations souveraines depuis 1900 n’était que de 1 %.
Le problème, c’est que les prix élevés des obligations et les rendements incroyablement faibles donnent lieu à des mesures incitatives dangereuses. Les investisseurs recherchent plus de rendement, peu importe le risque, et tous les agents économiques – les ménages, les entreprises et les gouvernements – empruntent à l’excès, alors que les coûts de service de la dette sont minimes.
Cela se traduit par une croissance explosive de la dette. L’Institute of International Finance, un organisme commercial mondial réunissant plusieurs banques, estime que la dette mondiale a atteint un nouveau record de 281 billions de dollars en 2020, la réponse des gouvernements à la pandémie y contribuant à hauteur de 24 billions de dollars.
Le secteur des entreprises non bancaires, en particulier, a connu une croissance progressive de ses dettes depuis la crise financière, celles-ci atteignant maintenant 100 % du PIB.
Cela va à l’encontre de l’idée avancée par Goldman Sachs selon laquelle le secteur privé n’a pas recours à un effet de levier important.
En fait, le monde est coincé dans le piège de la dette. Il est impossible pour les grandes banques centrales de resserrer la politique monétaire sans mettre en péril la stabilité financière et, par conséquent, l’économie en général. Un tel resserrement pourrait également entraîner des représailles de politiciens pour qui l’indépendance des banques centrales est une bonne chose tant qu’elles maintiennent des taux d’intérêt bas.
Il n’y a pas de sortie facile d’une politique monétaire expansionniste, car cela pose soit un risque de crise financière, soit un risque d’inflation, soit les deux. En effet, l’inflation fera partie de la solution au problème des dettes excessives.
La formule qui consiste à répéter qu’il faut maintenir des taux dʼintérêt bas pendant le plus longtemps possible ne peut connaître de dénouement heureux. Par contre, il faudrait avoir les dons de Nostradamus pour prédire quand cette fin aura lieu.
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