Les banques centrales étudient sérieusement l’idée des monnaies numériques
By Nicholas Gruen | mai 12, 2021L’auteur est chef de la direction de Lateral Economics et professeur invité au Policy Institute du King’s College de Londres.
Les Chinois en font actuellement l’essai. Le Trésor britannique et la Banque d’Angleterre ont créé un groupe de travail sur le sujet. Après des années de discussions, la monnaie numérique de banque centrale est soudainement devenue une question sérieuse.
Considérez la monnaie numérique de banque centrale comme l’équivalent numérique des billets de banque. Au début du XIXe siècle, on utilisait des billets de banque privés dans les magasins. Comme de nombreuses banques émettaient des billets différents, la situation était complexe et déroutante, et la faillite d’une banque pouvait rendre vos billets sans valeur.
Or, depuis la Bank Charter Act de 1844, les choses ont été simplifiées grâce à l’émission par la Banque d’Angleterre de ses propres billets de banque. Cela a également permis de niveler le terrain de jeu. Les banques ont toujours eu accès à un système de paiement sans risque entre elles par l’entremise de leurs propres comptes à la Banque d’Angleterre. Mais avec les billets de banque (les reconnaissances de dette de la Banque d’Angleterre), quiconque avait désormais accès à quelque chose de similaire.
Cependant, la Banque d’Angleterre a néanmoins conservé son rôle de « grossiste » pour d’autres services, maintenant que les banques commerciales offraient au détail des services de paiement par chèque par l’entremise de leurs réseaux locaux.
Toutefois, au début du présent siècle, l’Internet a permis à tout le monde d’avoir facilement un compte en ligne à la Banque d’Angleterre. Après tout, les grossistes du monde entier procédaient à la désintermédiation de leurs propres détaillants sur Internet; c’est ce qui vous permet aujourd’hui d’acheter votre vol dans une agence de voyages ou en ligne directement auprès de la compagnie aérienne.
Cependant, une banque centrale pour tous en ligne aurait été une « innovation perturbatrice » classique, ce qui n’est généralement pas poursuivi par les grands systèmes en place, sans parler des obstacles politiques qu’elle aurait rencontrés. Aujourd’hui, alors que les monnaies numériques privées accaparent petit à petit le système de paiement, la monnaie numérique de banque centrale nous sourit, soulevant à nouveau toutes ces questions.
Une monnaie numérique émise par la Banque d’Angleterre permettrait à chacun de détenir les reconnaissances de dette de la Banque dans son portefeuille numérique pour les transférer à quelqu’un d’autre aussi facilement que nous transférons du crédit depuis nos cartes de crédit et nos téléphones. Mais comme il s’agit d’argent de banque centrale, le coût et le risque seraient moindres.
En outre, les billets de la Banque d’Angleterre génèrent ce que l’on appelle des bénéfices de seigneuriage : la différence entre le montant que les banques centrales reçoivent sur l’émission de monnaie et le coût beaucoup plus faible de son impression. En tant que propriétaire de la Banque d’Angleterre, cela revient au bout du compte au gouvernement.
Une monnaie numérique de banque centrale ferait quelque chose de similaire, mais à une échelle beaucoup plus grande, ce qui est pratique pour un budget ravagé par la COVID. Actuellement, 97 % de l’argent en circulation est créé par les banques commerciales lorsqu’elles effectuent des prêts. Si vous parvenez à mettre la main sur un prêt, les banques engrangent de gros retours.
L’argent étant le bien public économique fondamental, si les gouvernements s’immiscent dans le quasi-monopole des banques sur la création monétaire, les bénéfices des banques chuteront, tout comme les sociétés de télécommunications ont dû trouver les liquidités nécessaires pour acheter aux enchères du spectre qui leur avaient été précédemment attribué.
Cela soulève deux autres questions. Tout d’abord, détenir de la monnaie numérique de banque centrale dans votre portefeuille numérique peut remplacer vos dépôts dans une banque. Pour éviter qu’on délaisse largement les dépôts bancaires au profit de la monnaie numérique de banque centrale, l’émission de la monnaie numérique pourrait être plafonnée.
Des chercheurs de la Banque d’Angleterre ont effectué une modélisation qui portait sur des émissions équivalentes à 30 % du PIB. Un tel plafond contribuerait grandement à renflouer les caisses de l’État, à remplacer des taxes plus coûteuses et à améliorer l’efficacité des paiements. Tout cela permettrait d’accroître l’économie d’un montant considérable de 90 milliards de livres.
Deuxièmement, la baisse des dépôts bancaires pourrait réduire la création de crédits bancaires. Outre les ajustements économiques habituels (par exemple ceux liés au désendettement et à l’expansion du financement par actions), la banque centrale pourrait prêter à nouveau aux banques ou, comme je l’ai suggéré précédemment, elle pourrait prêter à d’autres en donnant des garanties extrêmement sûres.
Bien sûr, on pourrait dire qu’on ne répare pas ce qui n’est pas cassé. Mais plus la création monétaire est liée à la dette bancaire, plus elle est cassée et instable. Comme l’a déclaré Mervyn King en tant que gouverneur de la Banque d’Angleterre en 2010, « de toutes les nombreuses façons d’organiser la banque qui existent, la pire est celle que nous avons aujourd’hui. »
Bien sûr, adopter une monnaie numérique de banque centrale serait un acte « courageux ». Mais il ne faut pas oublier que nous vivons dans une période qui n’a rien d’ordinaire. À une autre époque extraordinaire, en 1943, John Maynard Keynes, conseiller du gouvernement, faisait remarquer à un collègue à quel point les choses avaient changé depuis qu’il avait conseillé son gouvernement pendant la Première Guerre mondiale.
« Me voici de retour au Trésor comme une décimale périodique », a-t-il déclaré. Mais si auparavant, « la seule idée de la plupart des gens était de revenir à l’époque d’avant 1914, personne aujourd’hui ne ressent cela à propos de 1939. Cela fera une énorme différence au bout du compte. » Et c’est ce qui s’est passé. Or, il a d’abord fallu passer par-dessus une pandémie, une dépression et une autre guerre mondiale.
Jusqu’à présent, nous avons eu la dépression et la pandémie. Combien de crises supplémentaires faudra-t-il avant que nous affrontions nos démons? Combien de crises pouvons-nous éviter en les affrontant maintenant?
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